
A propos
Sarah Duperrex
Biographe & créatrice de récits de vie
Il y a cette petite fille enthousiaste qui s’était donné comme défi, de lire l’ensemble des livres de la bibliothèque communale. Idée difficilement réalisable, mais qui l’a conduite à dévorer des pages et des pages de livres aux couvertures roses et vertes.
Il y a cette fille un peu plus âgée qui, toujours éprise de ces objets magiques – la texture de la couverture, la finesse des pages, leur odeur toujours un peu différente, la surprise de ce qu’allait contenir ce nouvel assemblage de mots – a imaginé, un hiver entier, créer une bibliothèque de prêt chez elle. Elle a rêvé dans les rayons papeterie des supermarchés à tous les accessoires qui lui seraient nécessaires : tampons encreurs, étiquettes, stylos, cahiers de notes. Sa sœur écoutait, dubitative, les « on ferait comme si » et les « on mettrait les dates là ». Bien entendu, ce projet fantasque n’a pas vu le jour, pour le plus grand soulagement de sa cadette ; mais il a permis à cette fillette de 8 ans de choisir les livres de sa bibliothèque idéale, portée par des élans d’enthousiasme dont elle se souvient encore 35 ans plus tard.
Il y a cette jeune fille et ses premiers émois qui, l’été de ses 17 ans, a entamé la saga romanesque de Mazo de la Roche. Des livres à la couverture en simili cuir, dorés par endroits – offerts par grand-maman – et d’autant plus précieux qu’ils lui avaient appartenu. Cet été-là, les pages de cet héritage littéraire ont rythmé les journées de cette jeune fille en fleurs. Et puis soudain, elle a réalisé que la fin de l’été marquerait l’achèvement de la lecture de cette saga au long cours. Alors, avec désolation, elle a planté là, au milieu de « la Moisson de Jalna », un marque-page. Juste pour repousser le moment où elle quitterait tous ces personnages attachants et les aléas de leurs existences. L’automne est arrivé, puis l’hiver. La jeune fille ne se résignait pas à reprendre la lecture de Jalna, préférant à la perspective de terminer cette saga, le plaisir de penser qu’elle pourrait un jour retrouver l’émerveillement de pages encore à découvrir. Et puis, peu à peu, ses amis de papier se sont faits plus discrets, s’évanouissant de son imaginaire, ne laissant plus que quelques traces imperceptibles dans son cœur, au profit de nouvelles passions. La fin restera à jamais en suspens.
Il y a cette jeune femme qui continuait à ses réfugier dans les livres lorsque la vie lui semblait trop compliquée. En vacances avec ses amies, un pressentiment lui avait fait supposer qu’elle plaisait à l’un des jeunes hommes rencontrés sur la plage du camping. Alors, tandis que copines et nouvelles connaissances badinaient sous le soleil de l’Ile de Ré, la jeune femme restait sous la tente à lire, encore et encore. Pour se protéger de l’inconnu ? Pour éviter le rouge aux joues ? Par certitude de ne pas être comme il faudrait ? Un peu de tout cela, certainement. Il avait fallu l’extirper de son cocon confortable pour que la vie lui prouve qu’un baiser, c’est plutôt…

Il y a cette femme qui a dit « oui » aux livres, s’offrant ainsi la chance de se voir entourée par eux, pour le meilleur et pour le pire. Lire pour le travail, faire lire, échanger, commenter, écrire, analyser, empiler, compiler, corner, souligner. Des livres à foison dans sa tête, dans toute sa maison, dans ses sacs, dans sa voiture. Au cas où, on ne sait jamais…
Il y a cette femme éprouvée par la vie, le cœur maladroitement recollé et encore chiffonné par endroits, pour laquelle certains livres seront désormais détestés. Vie et lecture rompues par certains de ces drames qui fracturent. Non, les livres des « juste avant », elle ne peut plus les voir. Elle les jette, les déchire, veut les effacer de sa mémoire.
Et à l’inverse, il y a ces livres chéris qu’elle affectionne, liés à une personne aimée, un moment de plénitude, un événement particulier.
Il y a enfin cette femme heureuse d’être mère, qui lit des histoires pour bercer les soirées, apaiser les soucis, partager un moment de complicité avec son enfant, avide d’aventures.
Dans cette vie aux multiples facettes, aux événements imprévisibles, aux changements inéluctables mus par le mouvement irrémédiablement lié à toute existence, les mots m’apparaissent un peu comme le fil qui viendrait coudre un jour à un autre, une étape à une autre, un peu à la manière d’un patchwork aux couleurs et aux formes irrégulières.
Dans ce foisonnement de pages, de lettres, d’atmosphères et de personnages, écrire est devenu une évidence. Écrire pour raconter, se souvenir, s’évader, réfléchir, ou sublimer. Puis, écrire pour les autres des récits de vie, accompagnant ainsi ceux qui le souhaitent dans un processus intime et profond. A travers les témoignages, recueillir pour transmettre. Créer des ponts par les mots.
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